10

 

Le commandant place une autre bûche de chêne dans l’âtre et la pousse sans prêter attention aux flammes et aux étincelles qui montent lécher ses poignets. Derrière les fenêtres de la bibliothèque la clarté du soleil a déserté le ciel mais la lueur des météores est assez vive pour pénétrer à l’intérieur de la pièce.

— J’ai demandé qu’on nous apporte quelques sandwiches, dit Jozsef. Au cas où certains d’entre nous auraient un petit creux.

— Pas encore, déclare le militaire. Il y a deux ou trois choses…

— Oui, Kip ?

— Le professeur n’a pas ménagé ses efforts pour reconstituer des événements auxquels il n’a pas assisté… y compris des scènes dont nul n’a été témoin…

— Kip, je t’en prie, intervient Jozsef, gêné par l’irritation que le commandant ne peut dissimuler.

— Je n’ai à aucun moment tenté de vous induire en erreur, proteste Forster, dont les sourcils poivre et sel se haussent d’indignation. Je n’ai jamais dissimulé quelles étaient mes sources.

— C’est exact. Ce que je veux savoir, c’est comment vous interprétez tout cela.

— Quelques années plus tard, Troy m’a rapporté une conversation fort instructive qui devrait permettre…

— C’est ce que vous pensez qui m’intéresse, insiste le commandant.

Sous la clarté des flammes son aspect est aussi menaçant que celui de Baal. Les lueurs rougeoyantes divisent son visage et le creusent d’ombres noires.

Les autres échangent des regards. Au prix d’un effort, Forster feint de ne pas remarquer l’agressivité de l’autre homme.

— Si vous y tenez. Tout indiquait que Vénus était condamnée, que notre envoi vers le passé se déroulait dans le cadre d’une opération de sauvetage. Thowintha était revenu(e) en cette époque et ce lieu pour tirer ses compagnons d’un mauvais pas… avant que les autres Amalthéens ne décident de les « amputer ». Le destin qu’ils réservent aux membres de leur corps collectif qui entravent le fonctionnement de l’ensemble.

— Une opération de sauvetage pour le moins compliquée, fait remarquer le commandant.

— Bien plus que vous ne le pensez, approuve Forster. Ces êtres avaient quitté leur système stellaire et voyagé pendant un million d’années à la recherche d’un monde sur lequel ils pourraient exercer leur Mandat. L’œuvre de reconstitution de leur milieu d’origine était programmée dans leurs gènes. Ils trouvèrent notre soleil, et avec lui Vénus, une planète couverte d’océans, aux cieux dégagés et au sol stable, sans activité géologique ou climats changeants à même de l’ébranler, sans périodes glaciaires ou continents partis à la dérive comme sur la Terre. Ils crurent que ce qu’ils réaliseraient en ce lieu serait éternel…

« Pendant des millions d’années tout fut conforme à leurs espérances. Ils réussirent pratiquement à reproduire l’écosystème de leur monde. Puis Némésis apparut… le trou noir qu’ils appellent le Tourbillon. Ses bombardements de comètes créèrent un effet de serre humide qui éleva la température de l’océan et satura l’atmosphère en vapeur d’eau. À notre arrivée, l’hydrogène atmosphérique allait se perdre dans l’espace. Le processus qui ferait de Vénus une fournaise de gaz carbonique avait déjà débuté.

— Une véritable tragédie, intervient Jozsef. Mais quelles étaient les causes de ce… Eh bien, je présume que le terme de « conflit politique » serait inadapté…

— La scission a été précipitée par l’évolution. Les Amalthéens avaient observé des mutations phylogénétiques, l’apparition de nouvelles espèces non conformes à ce que stipulait leur Mandat. Ils étaient atterrés. Ils croyaient n’avoir que deux possibilités – laisser la nature suivre son cours et perdre ainsi tout ce qu’ils avaient obtenu, ou considérer de telles variations comme inévitables, s’y résigner, s’y adapter, et même les faciliter.

— Prendre les choses en tentacule, déclare Ari, amusée.

Forster lui accorde un sourire sans joie.

— Les faciliter ? demande Jozsef. Pourquoi pas, après tout ?

— Pour cela, il fallait en premier lieu dévier les comètes, répond Forster. Seul le vaisseau-monde leur permettrait de mener à bien une telle opération.

— La méduse biomécanique que vous nous avez décrite défiait les lois de la pesanteur, objecte le commandant. Dès l’instant où un tel appareil n’a pas besoin d’ailes pour voler il devrait pouvoir se déplacer dans l’espace.

— Après avoir consacré des années à tenter de percer les secrets de la technologie amalthéenne, je ne sais guère plus de choses qu’au premier jour. Je suppose qu’ils puisent leur énergie dans le vide, par une sorte d’équivalent macroscopique de l’effet quantique. Le rayon d’action dépend de l’amplitude des états vectoriels possibles. Elle est très importante dans le cas du vaisseau-monde qui effectue des déplacements interstellaires à une vitesse quasi luminique. Les méduses ont une taille bien plus modeste et des possibilités limitées.

— Vos explications manquent de clarté, grommelle le militaire.

— Je résumerai en disant que les méduses ne pouvaient être utilisées à ces fins, et le vaisseau-monde non plus.

— Pourquoi ? D’après vos propos ce Thowintha était plutôt large d’esprit.

Jozsef cherche encore à comprendre les enjeux politiques, comme si les motivations des extraterrestres étaient plus faciles à analyser que celles des représentants de l’humanité qui siègent au Conseil des Mondes.

— Thowintha se sentait profondément concerné(e) par cette affaire, dit Forster. Comme tous ses semblables, il/elle ne se considérait pas en tant qu’individu selon l’acception que nous donnons à ce terme mais devait s’estimer primum inter pares dès l’instant où il était question de ce que nous appellerons la faction adaptationiste. Malgré bien des réticences, cet être et le groupe qu’il représentait avaient fini par admettre que l’évolution des formes de vie locales était inévitable. Mais cela les éloignait de l’idéal stipulé par le Mandat et s’y résigner dut leur être pénible. Nous avons été les témoins de la scission définitive. Peut-être même l’avons-nous hâtée.

— Si vous n’avez pas été recrutés pour la précipiter, intervient le commandant.

— Certains d’entre nous l’ont pensé.

— Nemo avait donc un rôle à jouer, lui aussi ? demande Ari.

— Je ne prétendrai pas savoir de quelle manière. Par exemple, comment Thowintha savait-il/elle que cet homme viendrait nous rejoindre sur Amalthée ? Ou encore qu’il recouvrerait sa liberté ? L’important, c’est que Nemo a rapidement compris que les adaptationistes étaient minoritaires et ne disposaient d’aucune marge de manœuvre.

— Je suis perdu, avoue Jozsef. Thowintha contrôlait le vaisseau-monde et pouvait en conséquence aller n’importe où dans le temps et l’espace.

— Il y avait d’autres vaisseaux-mondes, intervient le commandant sans détacher les yeux du ciel strié de traînées lumineuses. Nous en avons désormais la preuve.

— Faux, il n’en existe qu’un seul, le contredit sèchement Forster.

— Je suis encore plus désorienté, reconnaît Jozsef. Ce serait à bord de l’appareil de Thowintha – celui que vous avez découvert au cœur d’Amalthée – que ces extraterrestres sont venus jusqu’à notre système ?

— Oui, mais il n’est qu’un état possible du tout.

De la tête, Forster désigne le ciel encadré par la fenêtre.

— Il y en a bien d’autres.

— La superposition d’états définie dans la théorie des quanta ne se produit qu’au niveau microscopique, lance Ari. Et seulement en l’absence de tout observateur.

— Selon un spécialiste en la matière…

— Qui serait ?

— McNeil, et il a toute ma confiance. La physique quantique laisse supposer que les diverses possibilités se réduisent à une seule – la réalité – par superposition linéaire lorsqu’elles rencontrent une courbure importante de l’espace-temps. Partir vers le passé introduit un deuxième ordre d’états alternatifs. (Il s’autorise un sourire.) Je doute toutefois que nous ayons convaincu ce pauvre Bill Hawkins que de tels voyages n’étaient pas une fiction.

— Une chose est en tout cas indéniable… c’est que je suis sceptique, grommelle le commandant. Qu’est-ce qui prouve que ce n’était pas un rêve, que vous n’avez pas été placés sous hypnose pendant que vous étiez dans – comment l’appelez-vous, déjà ? – la salle d’immersion ?

Forster caresse son verre vide et Jozsef saisit aussitôt le sens du message. Il y verse des cubes de glace et du whisky. Le professeur le remercie en inclinant la tête.

— Exact, dit-il ensuite. On a cru les déplacements temporels impossibles en se fondant sur le postulat selon lequel tout élément du présent envoyé vers le passé devait obligatoirement être à l’origine de paradoxes. Cependant, la superposition des états supprime ces derniers.

— Rien de ce que vous avez dit ne le démontre, objecte le commandant.

— C’est l’effondrement de la fonction ondulatoire qui les élimine. Nous ne sommes en fait confrontés qu’à des possibilités. Il n’existe qu’une seule réalité. En présence de deux éléments contradictoires, l’un annule l’autre qui n’a alors jamais existé. La fonction ondulatoire s’effondre. C’est ce qui se produit lors d’une rencontre avec soi-même. Une des deux entités s’efface. Si un vaisseau-monde est rejoint par son double, le premier ou le second doit obligatoirement disparaître.

Ari sourit tristement.

— Avez-vous couru le risque de vous croiser ?

— Ma foi, ce danger n’était pas négligeable, répond Forster dont les yeux s’écarquillent à cette pensée. Et Thowintha s’en est immédiatement préoccupé(e), car il n’y avait pas que des comètes qui approchaient de Vénus…

 

La méduse survolait depuis tant d’heures les mers, les jungles et les paysages nuageux de la planète que Sparta et Blake ne percevaient plus l’écoulement du temps. Finalement, leur appareil revint vers les falaises d’où il avait jailli hors de l’océan. Une fois là, il plongea de nouveau sous les vagues en ébullition.

Les extraterrestres se ruèrent à l’extérieur. Ils entraînèrent les humains avec eux puis les laissèrent nager seuls, à leur grande surprise.

— Ils souhaitent peut-être arriver à un consensus, déclara Sparta. Mais ils en sont au point de rupture. Si la séparation n’est pas déjà consommée.

Blake baissa le menton, pour l’approuver.

— Il existe au moins deux factions. Les partisans du respect à la lettre des termes du Mandat et ceux que j’appellerais les créatifs. Ce que je me demande, c’est comment les différencier sans suivre un cours accéléré de rattrapage en contrepoint et antienne.

Ils approchaient du rassemblement lorsqu’ils comprirent que la situation avait dégénéré.

À leur départ les créatures formaient un ensemble vivant à la sphéricité parfaite et frétillant d’énergie. Ce qu’ils voyaient à présent évoquait une cellule infectée par un virus, une chose informe agitée d’ondes de distorsion, de convulsions qui l’aplatissaient et la creusaient en menaçant de la scinder. Des soulèvements délogeaient des silhouettes noires qui devaient alors faire des efforts frénétiques pour rejoindre leurs semblables.

La masse globale de ce conglomérat paraissait plus importante. Et son chant était plus assourdissant, strident et dissonant.

Les risques de dissolution se concrétisèrent et l’énorme sphère implosa en projetant ses composants dans les flots sombres. L’espace interne jusqu’alors vide et délimité par une foule disciplinée de créatures intelligentes fut envahi par des animaux privés d’esprit.

L’œil humain discerne des formes dans presque tout ce qu’il voit et Blake devait affirmer par la suite avoir reconnu une structure au sein de la mêlée : une sorte de faisceau de baguettes noires, un écheveau composé de centaines ou de milliers de corps qui allaient rejoindre deux amas informes dans les flots hachurés par des rais de lumière.

Sparta le vit également.

— Comme une cellule qui se divise, commenta-t-elle.

Ils restaient immobiles dans les profondeurs, abandonnés par leur escorte dont les membres s’étaient dispersés pour apporter leur contribution au chaos.

— Je n’aime pas ce merdier, déclara Blake. Je n’ai aucun désir de prendre parti.

Elle secoua la tête.

— C’est chose faite, répondit-elle sans enthousiasme. En tant qu’êtres humains, nous n’avons d’autre choix que de soutenir les partisans de l’adaptation.

— Est-ce mal ?

— Là n’est pas la question. C’est dans notre nature. L’homme ressent un malaise dès qu’il essaie d’envisager l’avenir. Pour nous, une institution qui existe depuis un millénaire est extrêmement ancienne. Le conservatisme, c’est tenter de préserver des vestiges d’une chose qui a déjà disparu.

Après avoir extériorisé sa colère, elle demeura un instant silencieuse. Finalement elle ajouta :

— Je suis à présent convaincue que si nous sommes ici, toi et moi, ce n’est pas un effet du hasard.

— Autrement dit ?

— Thowintha nous a choisis à cause de ce que nous sommes.

Elle s’avança en nageant vers les restes en ébullition du rassemblement, comme attirée par son sens du devoir.

Blake l’imita, à contrecœur. Il pensait qu’il devait exister d’autres options que celle de participer à cette mêlée. Lorsqu’il était indécis, il lui arrivait fréquemment de faire sauter quelque chose, pour se défouler, mais il ne pouvait laisser Sparta seule. Il plongea derrière elle, au cœur du chaos.

Les extraterrestres utilisaient leurs siphons pour se propulser et s’imprimer des accélérations inconcevables, mais même au sein d’une pareille cohue ils n’entraient pas en collision. Ils ne faisaient qu’effleurer les humains, que cinglaient les remous. Blake avait l’impression d’avoir pénétré dans un chaudron plein de métal en fusion. D’énormes créatures dotées de tentacules se ruaient autour d’eux, luminescentes dans des nuances de rouge évocatrices d’acier trempé et de sodium brûlant. L’eau avait un goût acide et cuivré.

Le temps que les humains approchent du centre de la foule, l’agitation décrut. Le faisceau de bâtonnets vivants battait en retraite et le processus de scission de la sphère en deux cellules de taille différente s’achevait.

Si Blake n’avait pas respiré par ses ouïes, ce qu’il vit alors lui eût coupé le souffle. Au milieu de la plus grosse des « cellules filles » en formation nageait une silhouette livide, une poupée de chiffon revêtue d’un linceul d’algues : Nemo.

Un instant plus tard le chœur cacophonique s’exprimait :

Les faux Désignés sont des membres malades. Il convient de les amputer. Alors, tout sera bien.

Sur ces mots, la structure vivante dont Nemo occupait le centre se contracta et acquit de la netteté. Blake eut l’impression de plonger le regard dans la gueule d’une méduse, une bouche vorace entourée par un million de palpes grouillants. Il gardait tous ses sens en éveil et assistait à la scène comme si le temps ralentissait son cours. Le globe noir était un œil qui restait rivé sur lui et Sparta. Les fentes jaunes des yeux véritables de ces êtres brillaient de haine. La créature composée de milliers de créatures allait se refermer sur eux pour les ingérer.

Surgies de nulle part, des ailes démesurées se déployèrent au-dessus de leurs têtes tel un bouclier qui s’interposait entre eux et la menace. Un seul extraterrestre… au manteau embrasé par un feu opalescent.

Comme un calmar de la Terre il possédait deux tentacules plus longs que les autres et dotés de ventouses. Ces appendices préhensiles s’étirèrent et s’enroulèrent autour de la taille des deux humains. Du chant agressif seul un gémissement grinçant privé de paroles continua de résonner dans les flots.

C’était la première fois que Thowintha établissait un contact physique avec eux, et lorsqu’il/elle s’exprima, le timbre de sa voix traduisit une incommensurable tendresse ainsi qu’un puissant désir de protection.

Tout sera bien.

Ils s’abandonnèrent à lui/elle, corps et âme.

De l’eau jaillit du siphon de Thowintha. L’être emporta le couple d’humains en se propulsant en sens inverse d’un calmar de la Terre, qui nage « à reculons ». Ses tentacules faisaient penser à la queue d’un cerf-volant. Les traits déformés en masques de la comédie antique, Sparta et Blake essayaient de ne pas avaler des quantités d’eau trop importantes. Ils ramenèrent leurs bras contre leurs flancs et tendirent leurs jambes afin de réduire la résistance qu’ils opposaient au milieu traversé.

Avec les humains en remorque et suivi(e) par une myriade de petits calmars luminescents semblables à un panache d’étincelles derrière une fusée de feux d’artifice Thowintha s’éloignait du rassemblement qui se dispersait. Il/elle fut bientôt au-dessus de la colonie corallienne vue à leur arrivée. Ses larges défilés et ses grottes aux formes étranges étaient désormais déserts. Blake eût demandé pourquoi si la vitesse ne l’avait empêché d’ouvrir la bouche. Il tourna la tête pour regarder derrière eux. Les flots grouillaient d’êtres lancés à leur poursuite.

N’ayez crainte. Il est encore temps d’éviter l’effondrement, gronda Thowintha.

L’effondrement ?

Blake voulait hurler d’innombrables questions mais il dut se contenter de s’interroger sur le sens que leur sauveur pouvait donner à ce mot.

 

Pendant que se déroulaient ces événements, mes compagnons et moi-même reprenions nos explorations du vaisseau-monde. Comme Walsh nous l’avait signalé, Nemo n’était plus dans la salle d’immersion. Nous pûmes constater à notre tour que les lieux étaient déserts. Il n’y subsistait que ces membranes semblables à du varech qui avaient peu de temps auparavant assumé la fonction de nous maintenir en vie.

Nous nous abstînmes de demander à Walsh pour quelle raison elle nous avait précédés ici. Nous attendrions qu’elle se fût décidée à nous le dire en feignant de croire qu’elle avait simplement voulu tester la Mante. Cependant, le départ de Nemo nous inquiétait et devoir nous séparer avait mis nos nerfs à rude épreuve. Notre adversaire nourrissait-il le projet de s’emparer de la navette ? Nous savions qu’il ne reculerait devant rien pour arriver à ses fins et nous avions laissé McNeil, Hawkins et Marianne Mitchell monter la garde à bord du Ventris.

Cette évasion augmentait l’urgence d’explorer le vaisseau-monde. Walsh et moi scrutions ses passages à travers la bulle de l’habitacle pressurisé du petit sous-marin. Recroquevillé dans un renfoncement situé derrière nous, ce pauvre Tony ne pouvait rien voir. La Mante quitta la salle d’immersion pour s’aventurer dans des couloirs tortueux longs de plusieurs kilomètres.

Nous nous étions familiarisés avec le chemin du Temple des Arts bien avant notre départ de Jupiter et nous l’atteignîmes bientôt. Nous y vîmes une chose que nous n’avions encore jamais pu admirer : les étoiles vivantes qui constellaient son dôme.

— Tony, peux-tu redresser la tête et jeter un coup d’œil au plafond ?

— Une minute, Jo.

Nous l’avions choisi pour nous accompagner parce qu’il était, entre autres raisons, le moins corpulent des membres de notre groupe. Après moi, naturellement. Même ainsi, il dut se livrer à des contorsions épuisantes pour s’extraire du renfoncement et glisser la tête entre nos genoux afin de regarder les hauteurs à travers la bulle, couché sur le dos.

— Hum ! murmura-t-il.

— Oui ? Alors ?

Je dus donner l’impression que j’étais irrité mais je me sentais simplement nerveux, non à cause de Nemo mais du lieu où nous étions. Plus nous nous rapprochions du centre de contrôle de ce vaisseau, plus je doutais que les informations recueillies pourraient nous être utiles. Je ne me jugeais pas capable de comprendre l’état d’esprit d’un extraterrestre même si, après un tiers de siècle de labeur acharné, je m’enorgueillissais de pouvoir traduire plusieurs milliers de mots de son langage.

— Leur disposition est presque identique à celle que l’ordinateur du Ventris a calculée à partir des données fournies par Troy, dit Groves. Le ciel devait ressembler à cela, il y a trois milliards d’années… trois milliards d’années avant notre départ de Jupiter, s’entend. Cependant, ce laps de temps est trop long pour que j’accorde ma confiance à un système informatique, aussi perfectionné soit-il…

Sa voix mourut.

— Tu allais ajouter quelque chose, fit remarquer Walsh.

Groves était peu expansif et modeste, et nous avions tendance à oublier sa réputation de navigateur. Mais il avait guidé Springer jusqu’à Pluton quand toutes les suppositions du célèbre explorateur s’étaient révélées erronées, et ses collègues savaient qui devait être crédité de cet exploit.

— Eh bien, Jo… un grand nombre de ces points lumineux ne figuraient pas dans cette reconstitution. Une observation d’une ou deux minutes – le temps que j’ai passé ici, allongé sur le dos – m’a permis de constater qu’ils suivent des trajectoires de comètes.

— Tu as pu t’en rendre compte si rapidement ?

— Oh, bien sûr ! Si leur mouvement est apparent, c’est parce qu’elles se déplacent très vite et sont très proches…

— Que faut-il en déduire ? demandai-je.

— Ce n’est qu’une simple supposition mais je dirais qu’une ou deux d’entre elles vont percuter ce monde. La semaine prochaine. Peut-être demain.

— Les Amalthéens doivent être conscients du danger, fit Walsh.

— C’est ce qui…

— Il y a autre chose, m’interrompit Tony.

— Quoi ?

— Je ne sais pas. Je suis couché sur le dos et je dois me contenter de regarder. Je ne sais même pas sur quel principe est fondé ce système de visualisation, ni comment il reçoit les données qu’il traite. En supposant que ce soit l’équivalent d’un planétarium où l’espace est représenté en temps réel… eh bien, il y a là-haut un objet trois fois plus lumineux et deux fois plus rapide qu’une comète. Et je précise qu’il arrive droit au-dessus de nos têtes.

— Bon Dieu ! laissai-je échapper.

Walsh ne dit rien. Son attention avait été attirée par un mouvement à l’intérieur du temple-passerelle, sous le plafond d’étoiles mouvantes couleur or, turquoise et rubis. Des silhouettes sombres glissaient dans les flots.

— Professeur… nous ne sommes pas seuls.

Peu après, la Mante était cernée par des créatures lumineuses comme des enseignes au néon et aussi grosses que Thowintha. Elles soumirent notre coque à un bombardement terrifiant d’ondes sonores.

— Subissons-nous une attaque ? demanda Walsh.

— Peut-être veulent-elles nous mettre aux arrêts, dit Groves au même instant.

Mais les sons étouffés que j’entendais ne m’en donnaient pas l’impression.

— Branchez les hydrophones, dis-je à Walsh.

Elle s’exécuta aussitôt. Des voix claires et pressantes chantèrent soudain à l’unisson dans les haut-parleurs de la Mante.

— Que disent-elles, professeur ?

— À quelque chose près : Nous voulons vous aider. N’opposez aucune résistance.

— Vraiment ? Mais d’où sortent-elles ? Qui sont-elles ?

— Aidez-moi à relier mon synthé-trad au système de communication. Je devrais pouvoir établir un dialogue.

Walsh effectua les branchements pendant que je tapais des mots sur le clavier du petit appareil. Je n’avais pas saisi une phrase complète qu’une nouvelle onde sonore se propagea dans les flots.

Ne vous inquiétez pas.

— Nous nous déplaçons ! s’écria Groves.

Tout sera bien.

Les extraterrestres s’affairaient à l’extérieur de la coque. Un essaim de tentacules glissait sur la bulle. Il y eut une pause, puis un grondement menaçant.

Ce pauvre Groves hurla sitôt qu’il comprit leurs intentions et son cri de terreur emplit la cabine exiguë.

— Mon Dieu, ils ont trouvé la commande d’ouverture d’urgence ! s’exclama Walsh.

Elle avait déjà tendu la main vers les interrupteurs des propulseurs auxiliaires, mais à peine eut-elle relevé les caches de sécurité que le sas s’ouvrit.

L’eau s’engouffra par l’écoutille.

Avec tant de force qu’elle me projeta contre la bulle de polyverre et que je perdis connaissance.

 

Thowintha tenait toujours Sparta et Blake et se laissait rattraper par la horde qui les avait suivis dans le sas immergé. Les couches moléculaires imperméables du dôme se reformaient déjà, selon une spirale qui partait de l’extérieur en direction du centre. Puis Thowintha nagea vers les hauteurs dans les cavernes et les couloirs luminescents de l’immense vaisseau.

Ces passages n’étaient plus déserts. Des essaims d’êtres les entouraient et se déplaçaient avec tant d’aisance dans ce milieu liquide que Sparta et Blake étaient gênés par leurs limitations humaines. Bien qu’adaptables, les hommes sont sans doute les moins habiles de tous les animaux si on les dépouille de leurs vêtements et de leurs outils.

Les Amalthéens ne devaient pas comprendre ce qu’ils ressentaient. Ce qu’ils éprouvaient laissait Thowintha indifférent(e). Il/elle se contentait de répondre à leurs questions tout en nageant et sa voix avait désormais une résonance surnaturelle, car ses pensées se formaient simultanément dans l’esprit de toutes les créatures disséminées à l’intérieur du vaisseau – et peut-être dans l’appareil lui-même – qui les exprimaient à l’unisson.

Ce qu’il/elle/ils/elles disai(en)t était à la fois théorique, fantastique et inconcevable. Sparta et Blake n’en retenaient que ce qu’ils pouvaient assimiler.

Après plusieurs minutes, Thowintha les lâcha.

Allez répéter à vos semblables tout ce que nous venons de vous expliquer. Le temps est compté.

Puis il/elle les laissa.

Les humains émergèrent des flots et le vaisseau-monde se referma hermétiquement derrière eux. Le dôme incliné était plein d’air, toujours tiède et saturé par les senteurs de Vénus. Les cirres métalliques du sas s’enroulèrent avec douceur autour d’eux et les emportèrent rapidement dans la cale ouverte du Michaël Ventris. Dès qu’ils furent sur le plancher de la soute, les fouets les lâchèrent et se rétractèrent en sifflant. Sparta et Blake tremblaient, ainsi privés de la flottabilité apportée par un milieu liquide.

Le sas du module de l’équipage était verrouillé.

— Qui va là ? demanda par com la voix d’Hawkins.

— Troy et Redfield, répondit Sparta.

— Ouvrez vite, c’est urgent, ajouta Blake.

Le panneau recula lentement sur Hawkins qui les lorgna avec méfiance en laissant bien en vue la clé en titane qu’il serrait dans son poing.

— Où sont les autres ?

— Nous espérions les trouver ici, déclara Sparta.

Elle passa près d’Hawkins. Si cet homme avait voulu s’interposer ils n’auraient pu le maîtriser. Ils trouvèrent McNeil et Marianne Mitchell dans le carré, aussi tendus et nerveux que leur compagnon.

— Walsh, Groves et le professeur sont partis à bord de la Mante, inspecteur, expliqua McNeil. Ils devraient être de retour.

— Nemo a disparu, précisa Marianne. Le capitaine dit qu’il s’est échappé.

— Nous n’avons aucune certitude, la reprit Hawkins. Il se peut…

— Ce n’est pas le moment, l’interrompit Sparta. Le vaisseau-monde va subir une accélération brutale et nous devons vous conduire le plus rapidement possible dans la salle d’immersion.

Ils cessèrent de respirer et le sang abandonna leur visage, comme si elle venait de prononcer à leur encontre une sentence de mort.

Ce fut Marianne qui parla la première :

— Allons-nous rentrer à notre époque ?

— Ça ne dépend pas de nous, lui répondit Sparta.

 

Les extraterrestres et leurs douces machines prirent leurs corps en charge. Walsh, Groves et moi-même flottions déjà dans les marées artificielles, aveugles, perdus dans nos rêves.

Sparta et Blake s’assurèrent que nous étions en sécurité, puis elle se tourna vers son compagnon en agitant lentement les mains, heureuse d’évoluer à nouveau dans un milieu liquide.

— Tu as des marques de ventouses sur le ventre, lui fit-elle remarquer.

Parler sous l’eau était devenu pour elle naturel et sa voix était pleine de nuances. Elle baissa les yeux sur son propre corps.

— Et moi aussi.

Il ne répondit rien. Les deux humains nageaient avec vigueur dans les flots chauds et désormais surpeuplés du vaisseau.

— Ils ne pourront pas réussir, dit-il finalement, avec colère. Ils en sont conscients et ça les rend fous. Nous assistons à la désintégration de leur société.

— Ils n’ont aucune expérience de l’échec.

— De l’imprévu non plus, ajouta-t-il en feignant d’en être sidéré. Ils envoient une arche stellaire avec, à son bord, des pionniers et deux représentants de chaque espèce – si c’est également pour eux le nombre magique – avec l’ordre de reproduire le monde d’origine jusqu’au moindre virus. Mais nul n’a songé à les avertir que le résultat risquait d’être un peu différent.

— Ils connaissent des secrets de la nature que les hommes ne découvriront peut-être jamais… que la plupart d’entre nous rêvent de découvrir.

— À Histoire différente, stupidité différente. C’est toi qui as dit que nous étions contraints de rejoindre les rangs des partisans de l’adaptation.

— Parce que notre espèce a court-circuité l’évolution, remplacé les lentes modifications physiques et ponté les changements comportementaux par une culture fluide. Nous avons grandi au milieu des volcans et des tremblements de terre, des glaciers qui apparaissent et disparaissent, des mers dont le fond se soulève et retombe. Les désastres nous ont contraints à rester vigilants.

— Alors que ce peuple est vieux de centaines de millions d’années, peut-être des milliards. Il est certainement originaire d’un lieu très ancien et immuable.

— Même sur Terre certaines espèces n’ont pratiquement pas évolué. Je citerai comme exemple les libellules, les scorpions et les requins.

— Tu oublies les calmars.

— Nous avons la possibilité de les aider.

— Pourquoi le ferions-nous ? En quoi sommes-nous concernés ?

Elle dirigea sur lui un regard glacial.

— Ce qui est en jeu n’est pas uniquement leur réussite ou leur échec. Thowintha nous a conduits ici parce qu’il/elle estime que nous pouvons leur être utiles. Et pour autre chose.

— Qui serait ?

— Créer notre propre avenir, je crois.

Il souffla un chapelet de bulles.

— Que pourrions-nous faire pour eux ? Je n’arrive même pas à les suivre à la nage.

— Tu les as déjà aidés. Tu leur as suggéré de dévier les comètes.

— Cette idée a fait long feu. Et à présent que j’y réfléchis, il serait trop tard pour éliminer cette menace même s’ils osaient s’écarter à ce point de ce que stipule leur foutu Mandat.

— Parce qu’il y a déjà trop de vapeur d’eau dans l’atmosphère de Vénus ?

Il hocha la tête.

— L’effet de serre est irréversible.

— Je suis du même avis. Je pense à un autre monde.

Il la fixa, surpris.

— La Terre ?

— Mars.

— Impossible, déclara-t-il sans la moindre hésitation. Sa masse est dix fois moindre que celle de notre planète, son diamètre quatre fois… c’est le problème inverse de celui posé par Vénus. Mars ne pourrait conserver une atmosphère et, même dans le cas contraire, il serait impossible d’y maintenir une température propice à la vie.

— Ils l’ont pourtant fait. La plaque martienne en apporte la preuve.

Il semblait exaspéré.

— Premièrement, s’ils ont réalisé cet exploit c’est sans notre aide…

— En es-tu certain ?

— Deuxièmement, ils ont échoué.

— Ça reste à démontrer. Nous vivons peut-être dans une réalité différente depuis notre plongeon dans ce trou noir.

— Dans cette réalité, Mars a les mêmes dimensions que dans l’autre. Pour recréer leur monde de la Croix du Sud, la Terre constitue le choix le plus logique.

— J’aimerais les persuader du contraire.

Elle tendit la main et la posa sur son épaule.

— Et, pour cela, j’ai besoin de ton aide.

Il ne put résister bien longtemps. Pour un artificier dans l’âme, la perspective de bombarder une planète avec des comètes était irrésistible.

 

Thowintha flottait dans les vagues miroitantes du temple-passerelle, entouré(e) de ses semblables. Les battements puissants de son manteau sur un tempo régulier laissaient supposer à Sparta et à Blake qu’il/elle était plongé(e) dans une méditation profonde. Après plusieurs minutes de silence, son corps vira au rouge et acquit de la luminescence, alors que des vibrations jaillissaient de son être.

Nous ordonneriez-vous d’agir ainsi ?

Qui sommes-nous pour vous donner des ordres ? Nous suggérons simplement une solution.

Nous ferons ce qu’ont proposé les Désignés. Nous fabriquerons les vaisseaux dont vous avez besoin. Nous vous enseignerons même à les piloter.

Son amusement fit gronder les flots.

Comment vous y prendrez-vous ? demanda Blake, les yeux écarquillés par l’étonnement.

Nous vous apprendrons à penser, répondit Thowintha.

Merci, mais nous savons déjà comment procéder, s’emporta Blake.

Cependant Sparta déclara :

Nous sommes impatients d’être informés de vos méthodes.

Le manteau de Thowintha vira au pourpre.

Nos vaisseaux prélèvent leur énergie dans le vide. Cette puissance est relayée par le noyau. Les pertes augmentent en fonction de la distance.

Les pertes ?

Disons l’augmentation des probabilités de non-existence. Le rapport est aisé à calculer. Pour nous, ces choses sont secondaires. Les entités individuelles telles que vous doivent y accorder plus d’importance.

Sparta regarda Blake, l’air sinistre, avant de reporter son attention sur l’extraterrestre.

Nous aimerions prendre connaissance de ces rapports, dit-elle en essayant de paraître plus détendue qu’elle ne l’était.

 

Nul être évolué n’avait assisté à l’arrivée du vaisseau-monde et nul être évolué n’assista à son départ. Autour de lui, dans un rayon de nombreux kilomètres, l’océan était désert. Surchauffés, les flots entrèrent en ébullition et s’évaporèrent. Un tourbillon de nuages accompagna la colonne de feu visible dans son sillage.

Il fut bientôt loin au-dessus de la couche nuageuse. La sphère de la planète devint un simple disque. La lune de diamant s’éloignait de Vénus et se laissait happer par l’attraction du soleil.

Poursuivie par des comètes. Des comètes… et une seconde lune de diamant qui lui était en tout point identique…

 

Les Lumineux
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